TVA sociale : une bonne idée… qui pourrait dynamiter notre modèle social ?

Faut-il financer la protection sociale par l’impôt plutôt que par la cotisation ? Avec le retour du débat sur la TVA sociale, Emmanuel Macron et François Bayrou relancent une vieille idée à l’apparence simple, mais aux implications profondes. Entre efficacité économique, fragilisation des plus modestes et effacement du modèle assurantiel, ce mécanisme mérite plus qu’un slogan : un véritable débat de fond.

Les promesses classiques de la TVA sociale

L’objectif affiché est triple : abaisser le coût du travail, stimuler la compétitivité, et relancer la croissance. En supprimant une partie des cotisations salariales, le pouvoir d’achat des actifs augmente, de quoi résister à une possible hausse des prix induite par la TVA.

Et si les entreprises ne répercutent pas la baisse des charges dans leurs prix ? À ventes équivalentes, elles verront leurs marges et bénéfices grimper, donc leur impôt sur les sociétés aussi. La fiscalité viendra alors capter une partie des gains non redistribués aux consommateurs.

Cependant, pour les inactifs — chômeurs, retraités, allocataires — la possible non-répercussion de la baisse des charges sur les prix entraînera une hausse des prix par la TVA, et ce sans compensation. Le choc est donc potentiellement lourd pour les plus modestes, sauf si des dispositifs correcteurs sont prévus.

Le vrai angle mort : la dépense sociale

On parle beaucoup des recettes. Trop peu des dépenses. Or, leur explosion rend le déficit systémique.

Alors que le vieillissement de la population rend inéluctable la hausse des dépenses sociales et de santé, est-ce raisonnable :

  • d’avoir une explosion des arrêts maladie qui rend le système non pilotable (10 millions de journées indemnisées en 2023 contre 7,7 millions en 2019, soit +30 % selon la DARES) ?
  • d’avoir des allocations familiales versées avec des erreurs « non corrigées par les actions de contrôle interne » évaluées à 6,3 milliards d’euros selon la Cour des comptes (16 mai 2025) ?
  • de verser des pensions de retraite à des bénéficiaires à l’étranger, parfois décédés, comme l’a annoncé la Cour des comptes le 26 mai 2025 ?

Dans ce contexte, le contrôle de la dépense devrait être aussi central que celui de la fraude aux cotisations. Pourtant, les missions affichées par la CAF n’évoquent à aucun moment le contrôle ou la responsabilité financière. Voici ce que nous pouvons lire sur le site de la CAF :

Nos missions de service public
• Aider les familles à concilier vie familiale, vie professionnelle et vie sociale
• Soutenir la fonction parentale et faciliter les relations parents-enfant
• Accompagner les familles dans leurs relations avec l’environnement et le cadre de vie
• Créer les conditions favorables à l’autonomie, à l’insertion sociale et professionnelle des personnes et des familles.

Et si on écrivait aussi que cet organisme de droit privé a, dans ses missions de service public, une mission régalienne de contrôle ?

Le silence sur le modèle assurantiel

C’est le point aveugle du débat. Le modèle Bismarckien repose sur un pacte : je cotise, j’ai des droits. Ce système assurantiel a toujours cohabité avec un modèle Beveridgien, solidaire et financé par l’impôt (RSA, AAH, minimum vieillesse).

Mais aujourd’hui, ce double modèle est brouillé. L’assurance se confond avec la solidarité, sans clé de lecture claire pour les citoyens. En 2022, 265 milliards d’euros d’impôts et taxes ont été reversés aux administrations de sécurité sociale, principalement via la CSG et la TVA.

À ce sujet, notons que le débat ouvert par l’exécutif sur la TVA sociale est d’autant plus intéressant que cette dernière est déjà appliquée. Souvenez-vous ! François Hollande avait divisé son propre camp en instaurant le CICE (Crédit d’impôt compétitivité emploi)… Celui-ci a été supprimé en 2018, mais les exonérations de cotisations sociales patronales correspondantes ont été pérennisées. L’État a donc versé 47 milliards d’euros de TVA en plus aux caisses sociales en 2022 par rapport à 2018.

Ce mode de financement rend caduques certains discours classiques, notamment celui selon lequel la réforme des retraites permettra de sauver le régime assurantiel. Or, ce régime par répartition existe-t-il encore ?

14 milliards d’euros de TVA ont été prélevés des caisses de l’État pour alimenter celles des retraites. Le retraité qui achète sa baguette contribue donc – sans toujours le savoir – au paiement de sa retraite. Surtout, la dernière réforme des retraites a rallongé la durée de cotisations des actifs pour permettre l’augmentation du minimum vieillesse et des petites retraites… Où est le régime assurantiel ? N’a-t-on pas transformé notre régime par répartition en régime de redistribution ?

Pour un débat clair, une architecture à revoir

L’exécutif a eu raison d’ouvrir le débat. Mais l’enjeu n’est pas simplement de choisir entre TVA ou cotisations. C’est de repenser la lisibilité de notre modèle de protection sociale. Quels droits sont liés à l’assurance ? Lesquels relèvent de la solidarité ? Comment financer chacun de ces piliers sans les mélanger ?

Il paraît difficile d’embarquer les Français dans de nouvelles réformes sans leur présenter ce qu’ils financent, pour qui et à quel titre.

La TVA sociale mérite un vrai débat, mais il suppose d’abord une clarification de ce que nous voulons préserver : un système d’assurance ou une logique de redistribution.