Annonce des résultats du contrôle fiscal 2023 : et si on luttait contre les biais intellectuels ?

Gabriel ATTAL s’est déplacé à BERCY ce matin pour rencontrer son successeur (Thomas CAZENAVE) et y donner une conférence de presse. Celle-ci était dénommée Bilan du plan de lutte contre les fraudes.

Vous pouvez retrouver cette conférence de presse sur le lien suivant : conférence de presse 20 mars 2024.

Si le volontarisme politique est toujours à saluer, la présentation du bilan est malheureusement entachée de biais intellectuels, ce qui génère des restitutions dans les médias totalement ineptes.

Florilèges.

D’après l’article du Figaro.fr (Julien DA SOIS) : C’est un «record historique» : en matière de fraude fiscale, 15,2 milliards d’euros ont été recouvrés en 2023, soit 600 millions d’euros de plus qu’en 2022, et même 3,5 milliards de plus qu’en 2019.

Non, Gabriel ATTAL n’a pas dit que 15,2 milliards d’euros avaient été recouvrés (et non recouverts comme le mentionne la version initiale de l’article). Il a expliqué qu’à la clôture des procédures de contrôle, ladite somme avait été mise en recouvrement. Evidemment qu’elle n’a pas été réglée en totalité, puisqu’en plus des cas d’insolvabilité, le contentieux en défense des contribuables s’accompagne le plus souvent d’une demande de sursis de paiement.

Quant à l’article de Libération et de l’AFP, on peut y lire : Le Premier ministre s’est réjoui ce mercredi 20 mars de l’augmentation des sommes réclamées aux contribuables pour des impôts non payés en 2023, après 14,6 milliards en 2022.

Rappelons que les contrôles de l’année 2023 ne concernent pas (ou très peu) les impôts non payés de 2023, mais plus certainement ceux des années antérieures (au premier chef 2020, année prescrite le 31 décembre 2023 à minuit).

Des biais comme des marronniers.

Finalement, la présentation du bilan de la lutte contre les fraudes pour l’année 2023 rappelle celle de l’année dernière. Votre blog favori avait déjà dans son article Le rendement du contrôle fiscal en 2022 a-t-il atteint un niveau record ? mis en évidence les biais intellectuels du communiqué de presse du Ministère.

Si l’année 2022 n’était pas une année record pour la lutte contre la fraude fiscale, 2023 ne l’est pas plus. Avec pratiquement 20 milliards d’impôts mis en recouvrement en 2015 (cf. l’article du blog cité précédemment), la marche, ou la haie, ou dirais-je le mur ninja à franchir, est digne du parcours du combattant pour recouvrer les niveaux d’antan !

Se rajoute un nouveau biais dans la présentation du bilan 2023. Gabriel ATTAL semble aujourd’hui faire croire que tous les bons résultats proviennent de son plan élaboré en 2023 (avec des mesures issues du budget voté à l’automne). Encore une fois, saluons la volonté politique de l’ancien ministre, mais restons lucides ! Ce qui a été annoncé par Gabriel ATTAL en 2023 ne peut pas générer de résultats en 2023. Il ne fait nul doute que les contrôles terminés en 2023 ont été lancés fin 2022, ou en tout cas bien avant la traduction concrète de ce plan en un cadre juridique applicable. Un contrôle fiscal externe dure sur place entre trois et six mois selon la taille de l’entreprise, et à réception de la proposition de rectification le contribuable a jusqu’à 60 jours pour répondre. L’administration répond ensuite au contribuable (évidemment pas le jour où elle reçoit sa réponse) en tenant compte ou non des arguments qu’il a développés. Elle ne peut mettre en recouvrement qu’après un délai de 30 jours suivant la réception de sa réponse. Bref, les délais sont tels que le plan ATTAL de 2023 aura bien une incidence sur les résultats, mais seulement sur ceux de 2024 et des années suivantes.

En outre, les rappels des impôts et taxes ne concernent pas obligatoirement des impôts et taxes fraudés, c’est-à-dire marqués par une intention frauduleuse du contribuable. Il y a énormément d’erreurs commises de bonne foi, que l’administration corrige par ses contrôles. D’ailleurs, Gabriel ATTAL souligne cette mission de la DGFiP, en évoquant les petits contribuables et les contrôles qui se terminent avec leur accord (référence à la loi ESSOC de 2018). Dans ces conditions, on ne voit pas très bien ce que viennent faire ces 15,2 milliards dans un bilan de lutte contre la fraude, alors que ce montant comprend les corrections d’erreurs commises de bonne foi, assorties de pénalités réduites.

Enfin, dans l’article Où trouver les statistiques de la DGFiP ? je vous faisais part des cahiers statistiques de la DGFiP. C’est une mine d’or, et personnellement j’attends avec impatience le rapport de l’année 2023. On saura par exemple quel est le montant effectivement recouvré après contrôle (l’argent sonnant et trébuchant qui entre dans les caisses) ou encore quel est le montant d’impôts mis en recouvrement avec l’application de majorations (la fraude en somme). Surtout, il permet de faire des comparaisons sur une longue période. Ainsi, Gabriel ATTAL annonce avec détermination que les perquisitions fiscales ont augmenté de 30% en 2023. Le rapport de 2022 mentionne un nombre de perquisitions de 127, il y en a donc eu 165 en 2023. Sauf que le cahier statistique de 2015 fait état de 210 perquisitions, et même de 221 en 2013 si on suit le comparatif proposé.

Dans ces conditions, et au même titre que tous les autres services publics (justice, police, défense, hôpital et éducation), la seule question intéressante est de savoir pourquoi l’efficacité de la DGFiP pour contrôler l’impôt a reculé sur les dix dernières années. Je laisse la question ouverte.

En tout cas, si la volonté politique de Gabriel ATTAL est salutaire et parvient à faire oublier la chute historique du contrôle fiscal (seulement 12 milliards mis en recouvrement en 2019, donc – 7 milliards en 4 ans en comparaison avec 2015), sera-t-elle suffisante pour retrouver le niveau de 2015 ?

Peut-être que le dernier biais réside dans la présentation du bilan en valeur absolue. Comme on l’a dit, 12 milliards ont été mis en recouvrement suite à contrôles en 2019, mais les cahiers statistiques indiquent que le cumul des recettes de l’IR, de la TVA et de l’IS (pour ne prendre que ces trois) était de 343 milliards d’euros en 2017 (2 ans avant ; on ne contrôle que le passé comme on l’a vu plus haut). Cela fait 3,5% (100 x 12 / 343). En 2022, 14,6 milliards ont été mis en recouvrement, mais les recettes 2020 cumulées en IR, TVA et IS sont de 376 milliards d’euros. Cela fait 3,88%. Cela progresse, c’est positif ! Mais prenons 201519,6 milliards précisément ont été mis en recouvrement suite à contrôle. Le cumul des trois principaux impôts en 2013 représente une somme de 306 milliards. Deux ans plus tard, le contrôle fiscal permet de mettre en recouvrement un équivalent de 6,4% de cette somme

Je trouve cela très parlant : plus l’Etat prélève d’impôts (par la hausse de la fiscalité, du nombre de contribuables, l’inflation, etc), moins le rendement de la lutte contre la fraude est important (l’année 2022 montre néanmoins un effort par rapport à 2019). Ce point là est clairement très inquiétant (sauf à dire que plus les impôts sont lourds, plus les contribuables les paient spontanément), et la conférence de presse d’aujourd’hui ne donne pas de réponse pour résoudre cette incohérence.

FiscaliT.

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